Journal n°2 - octobre 2019

19 Octobre 2019


Le lieu des possibles.
Les nouveaux tauliers. Sensation parfois d'une extension des dîners ou apéros faits à la maison. Et vouloir convier le petit vieux croisé au café le matin. L'enfant de l'atelier du mercredi. La mère de famille qui attend son gamin et qui s'ennuie ferme dans le hall. Les vouloir dans le même espace. Là.
Prendre soin des gens. De l'espace. Faire le café pour les compagnies. Accompagner les enfants à leur atelier théâtre parce qu'il ne faut pas passer par la grande salle où une compagnie joue le soir. Parler avec eux, un peu et les confier à l'artiste qui les fera voyager pendant une heure ou deux. Perfectionner son apprentissage de barman les soirs de représentation et constater que cela facilite les discussions sur la dramaturgie, l'expression des rêves d'art de chacun et les espérances de partages. Nettoyer les toilettes avant l'arrivée du public. Sourire quand tu te sais passé dans la catégorie "directeur de théâtre", la serpillère à la main, à laver les chiottes.
Canaliser le temps entre les paperasses diverses, les rdv et les temps au plateau, puis retourner dans les salles de répet et voir là, à la dérobée et silencieux, le travail qui est en train de se faire.
Budgets, planning, bien sûr, mais aussi percevoir, tenter de percevoir l'endroit où la brûlure a opéré chez celles et ceux qui écrivent, qui mettent en scène, qui jouent ou qui se sentent appelé(e)s près du plateau, et percevoir cet espace incroyable où la brûlure du monde, parce qu'elle partagée dans l'éphémère, peut devenir source de joie.
Tourner autour d'une énigme, d'un secret. Incapable de le nommer, seulement que sa vibration s'accroît au plus tu te rapproches de l'espace du plateau.
Tu recommences à saluer l'espace le matin, comme à l'entrée des tatamis. Ce que tu faisais automatiquement il y a quinze ans dans chaque théâtre où tu jouais.
Apprendre beaucoup au contact de l'autre. Direction bicéphale. Impossible de concevoir autrement à présent.
Se heurter ensemble à la réalité du monde. Tant mieux. Aucune envie de rêver un théâtre. Seulement le faire. Dont acte. On le fait.
Présenter des spectacles au public. Puis s'asseoir et se fondre dans la communauté des spectateurs. On laisse passer quelque chose. Plaisir de fermer la boutique, tard de préférence, à deux, quand tout le monde est parti. Le silence de l'espace est comme celui d'un animal endormi, massif. Tu restes de longues minutes à contempler le bâtiment dans la nuit.
 
Yan Allegret