Juliette Fabert

Édito


 

L’image que nous avons choisie pour cette première partie de saison peut évoquer une montagne. Ou un volcan. On a senti la terre trembler ces derniers temps. On entend parler, on voit des éboulis, des coulées de boue et des températures extrêmes où l’oxygène se fait rare. Quelque chose se dresse face à nous. Une intuition tenace nous pousse à aller à sa rencontre.

 

Il y a deux travaux à faire, il nous semble. Gravir la montagne tout d’abord. Ne pas la refuser. Ne pas lui tourner le dos. Ne pas se terrer dans quelque abri que ce soit. Les abris ne sont faits que pour reprendre son souffle et tracer sur la carte la suite de l’itinéraire.

 

On commence par un pas. On amorce le déséquilibre initial qui donne naissance à la marche. Face à nous, la montagne nous parait insurmontable. Alors on gravit avec patience et un certain entêtement. On gravit ensemble, parce qu’on remarque très vite qu’on n’est pas seul.

 

En chemin, on rencontre des gens qui marchent eux aussi. Dans un autre rythme, chargés de lourds fardeaux, légers et vifs. Certains nous parlent. Certains sont silencieux. D’autres chantent à voix basse. Chacune, chacun a pris cette étrange décision d’aller au-devant de la montagne.

 

Quelque chose émerge pendant l’ascension. Une forme de chaleur, de solidarité face à l’adversité que représentent les hauts sommets. On aide les inconnus. On chemine ensemble et en parlant, on comprend que certains marchent pour les mêmes raisons que nous. On se dit qu’en étant ensemble, on recrée de l’oxygènequand celui-ci vient à manquer. Et l’on continue à marcher pour gravir la montagne. Mais depuis le début, on est porté par un autre désir, plus secret: celui de voir ce qu’il y a au-delà de la montagne. Découvrir ce qu’il y a sur l’autre versant, l’autre côté, inaccessible à nos yeux. Comme la promesse d’un ailleurs.

 

Durant la marche, nous voyons des refuges. Leurs murs sont suffisamment fermes pour nous protéger des éboulis et des coulées de boue. Là, on reprend des forces. On partage pour un temps le même espace, qui résonne de nos souffles, de nos histoires, de nos peurs et de nos rires. Chacun sait, dans le refuge, qu’il repartira dès le lendemain.

 

Vers la moitié de l’ascension, on croise d’autres personnes, qui redescendent. Parfois des regards s’échangent. Mais on se parle rarement. On pense, peut- être à juste titre, que ces gens-là en savent plus que nous. Parce qu’ils sont sans doute arrivés au sommet. L’idée qu’ils aient pu renoncer ne nous effleure pas. Parce qu’on est focalisé sur l’ascension, on en vient à ne pas voir réellement ce que l’on rencontre en chemin. Peut-être aurions-nous pu leur parler. Leur proposer de l’eau. Un regret nous traverse. On tâche de redoubler d’attention, de ne pas être aveuglé par la montagne. Car oui, la montagne nous aveugle. Les éboulis et les coulées de boue nous font peur. Et puis un jour on voit le sommet. On va puiser dans ses dernières forces. Un matin, enfin, on pose le pied sur la cime de la montagne. On ressent une fierté à avoir réussi ce voyage de mille lieues. Mais déjà quelque chose nous attire : le paysage de l’autre côté. Celui que l’on espérait secrètement. Il est neuf et en même temps familier. Il n’est pas le rêve que nous caressions. Le regret se mêle au soulagement. Notre rêve n’est pas réel. L’autre versant de la montagne l’est. C’est le réel, et seulement le réel qui nous attend.

 

Au moment d’amorcer la descente, on voit une silhouette au loin, qui gravit l’autre versant et se dirige vers nous. Puis une autre. Et encore une autre. Après un temps, c’est un petit groupe, pareil à celui avec qui on fait l’ascension qui se dirige vers le sommet. On comprend en un instant que ceux que l’on a croisé à l’aller, celles et ceux qui descendaient, venaient de l’autre versant. De cet ailleurs que l’on avait cherché. Le petit groupe arrive au sommet. On s’approche d’eux : « Pourquoi êtes-vous montés ? » leur demandons nous. « Pour voir ce qu’il y a  de l’autre côté de la montagne » nous répondent-ils.

 

Diane Landrot & Yan Allegret

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